• LES DROITS DE L'HOMME EN ALGERIE

    Algérie: Premier rapport de la visite en Algérie de la délégation d'Amnesty International, du 6 au 25 mai 2005

    " L'Algérie est à un tournant, estime la délégation d'Amnesty International, à la fin de sa visite dans le pays. La population et ses dirigeants ont la possibilité, après des années de conflit sanglant —qui fait encore des victimes aujourd'hui—, de reconstruire le pays sur des bases nouvelles, et de tourner le dos aux violations des droits humains et à l'impunité, en privilégiant le respect des droits fondamentaux. "

    Au terme d'une visite de trois semaines au cours de laquelle la délégation d'Amnesty International a visité plusieurs villes du pays et s'est entretenue avec de nombreux représentants de la société civile et de hauts fonctionnaires du gouvernement, ainsi que de victimes d'abus et de violations de droits humains, l'organisation a présenté ses principales conclusions et recommandations à l'opinion publique algérienne et au gouvernement.

    " Les victimes et leurs familles ont droit à la vérité, quels que soient les responsables des malheurs qui les ont frappées. Oublier l'histoire, c'est se condamner à la revivre, et accorder l'impunité aux auteurs d'abus, c'est ouvrir la porte à des tragédies futures " , a insisté l'organisation, qui a tenu à saluer le courage des femmes, victimes de violences tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la cellule familiale. " Les femmes portent le poids du conflit, parfois dans leur chair. Elles doivent absolument être associées à tout changement les concernant. Et des mesures urgentes doivent être prises. "

    Les délégués ont aussi tenu à attirer l'attention des autorités sur les témoignages de tortures et de mauvais traitements qui continuent à parvenir à l'organisation, ainsi que sur les restrictions à la liberté d'expression et d'association qui continuent à s'exercer.
    " Il est capital que le gouvernement associe les organisations de la société civile à la reconstruction du pays. Il faut dès lors que les entraves qui empêchent de travailler correctement aujourd'hui soient levées le plus vite possible " , ont insisté les représentants de l'organisation de défense des droits humains.
    Il faut insister sur le fait que la délégation, malgré une demande en ce sens, n'a été reçue ni par le ministère de la défense, ni par celui de l'intérieur.

    A. Discriminations et violences contre les femmes
    La délégation a tenu à souligner les développements positifs qu'elle a constatés, comme certaines modifications apportées aux codes de la nationalité et de la famille, l'interdiction du harcèlement sexuel, ou encore l'étude sur la violence à l'égard des femmes. Elle a noté également la volonté des autorités concernées de s'engager dans un dialogue ouvert.

    La discrimination contre les femmes reste cependant bien inscrite dans le code de la famille. Elle facilite la violence ; la lutte contre celle-ci requiert à la fois des lois plus adéquates et mais aussi des pratiques plus adaptées, tant au niveau de la police que des parquets ou des instances responsables de la prise en charge des victimes.

    La loi actuelle, en effet, ne protège pas efficacement les femmes contre certaines violations, notamment dans le milieu familial ou encore contre la violence sexuelle. La délégation a rappelé au gouvernement les remarques et recommandations qui ont été faites par le Comité du CEDAW en la matière, et qui doivent être mises en place par les autorités de ce pays.

    Les violences qu'a connues le pays ont eu de sérieuses conséquences sur la situation morale, légale et matérielle de milliers de personnes, principalement des femmes et des enfants, quels que soient les auteurs de ses exactions. Ces souffrances continuent encore aujourd'hui, et des mesures urgentes doivent être prises pour les soulager.

    Recommandations

    Conformément à ses obligations internationales, et au Plan d'action de Pékin, l'Algérie doit mettre en place un véritable plan d'action intégré contre la violence à l'égard des femmes.

    Par ailleurs, la délégation a attiré l'attention du gouvernement sur les mesures concrètes à prendre afin de venir en aide aux femmes (ainsi qu'aux enfants) victimes des événements qui ont ensanglanté le pays, y compris en matière de violence sexuelle.

    B. Liberté d'expression, d'association et de réunion
    La délégation a fait part de sa consternation concernant le nombre considérable de poursuites à l'encontre de journalistes constatées ces derniers mois, poursuites débouchant régulièrement sur des peines allant jusqu'à l'emprisonnement, et/ou des amendes considérables. L'organisation a rappelé l'importance d'une presse libre et responsable et l'obligation du gouvernement de respecter ses obligations internationales en la matière.
    Elle a attiré l'attention de ses interlocuteurs sur les difficultés rencontrées par les associations dans la tenue pacifique de réunions, d'activités publiques ou de manifestations, y compris l'interdiction de manifestations de sensibilisation aux droits humains.

    Recommandations

    Amnesty International invite le gouvernement à revoir, en concertation avec les représentants de la profession, les réglementations diverses qui concernent la presse et à ne pas condamner à la prison des personnes pour délit de presse. Par ailleurs, elle l'invite également à lever les tracasseries administratives et légales qui freinent ou visent à empêcher les activités de la société civile.

    C. Torture et impunité
    Malgré l'incrimination récente de la torture dans le code pénal et une diminution des allégations de torture et mauvais traitements par la police et la gendarmerie, l'organisation a reçu un nombre significatif d'allégations de tels abus, du chef d'agents du DRS. Ces allégations font état de la détention des prévenus dans des endroits qu'il leur est impossible de situer, et de méthodes de torture, notamment le passage à tabac et le supplice dit du chiffon. La délégation a interrogé les autorités sur le fait que l'on ne trouve pas trace de constatations de ces sévices dans les rapports médicaux rédigés par les médecins chargés d'examiner les détenus dans ces centres. Si ces allégations devaient être confirmées, ces manquements constitueraient de graves violations de l'éthique médicale.

    Par ailleurs, l'utilisation d'aveux arrachés sous la torture constitue une violation flagrante des obligations internationales auxquelles est liée l'Algérie, comme la Convention contre la torture. De la même manière, les juges sont obligés de lancer des investigations sur toute allégation de torture qui parviendrait à leur connaissance. Cependant, aucune enquête de ce type en direction d'agents du DRS n'a été portée à la connaissance des délégués de l'organisation.

    Recommandations

    Tous les lieux de détention et de garde à vue, y compris ceux du DRS, devraient être accessibles à tout moment aux organisations telles que le CICR ; Amnesty International invite les procureurs à visiter régulièrement ces centres à titre préventif.

    Toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements doivent faire l'objet d'enquêtes indépendantes.

    Les personnes arrêtées et détenues en garde à vue par le DRS et les autres agents de l'Etat doivent pouvoir communiquer avec leurs familles et recevoir des visites de celles-ci, comme le prévoit la loi.

    L'organisation recommande aux autorités de modifier la réglementation existante afin de permettre aux détenus d'avoir accès à un avocat.
    Par ailleurs, l'organisation suggère au conseil de l'ordre des médecins d'aider ses membres à remplir leurs obligations éthiques.

    D. Impunité et amnistie
    L'organisation a constaté le manque de progrès dans la détermination du sort des " disparus " du fait d'agents de l'Etat ou des personnes enlevées par les groupes armés, ou dans la recherche des responsabilités exactes dans les exactions commises dans le cadre de ce conflit.

    La délégation a pris connaissance de différentes initiatives visant à évaluer la situation, comme le mécanisme ad hoc ou les statistiques du ministère de la justice. Pour intéressantes qu'elles soient, ces études restent déconnectées entre elles et ne peuvent constituer qu'une première indication de la réalité des faits, une première étape dans la nécessaire procédure à long terme que doit entamer l'Algérie pour mettre fin à l'impunité, répondre aux interrogations des familles des " disparus " et des personnes enlevées par les groupes armés, et procéder aux réparations auxquelles ces familles ont droit.

    Les délégués ont rappelé à plusieurs reprises la position de l'organisation par rapport aux informations faisant état d'un projet d'amnistie générale. Aucun document concret précisant les dispositions éventuelles de cette amnistie n'étant disponible, la délégation n'a pas été en mesure d'apporter des commentaires. Elle a tenu cependant à rappeler les dangers, notamment en termes d'impunité, qu'un tel projet risque d'entraîner. Elle a aussi réitéré aux autorités ses demandes d'évaluation de l'expérience de la " concorde civile ".

    Recommandations

    Dans ses contacts avec les autorités, la délégation d'Amnesty International a mis l'accent sur les leçons qu'il faut retenir d'expériences similaires dans de nombreux pays, sur tous les continents, qui ont connu une évolution comparable durant les trente dernières années. Les délégués ont insisté sur le nécessaire travail de mémoire, de justice et de vérité, qui doit précéder toute initiative qui viserait à amnistier les auteurs d'abus et de violations des droits fondamentaux.

    La délégation a suggéré aux autorités algériennes de mettre en place un projet global, en concertation avec les familles des victimes et les associations des droits humains. Elle a rappelé que les abus et violations constatées sont constitutifs de crimes contre l'humanité et sont dès lors imprescriptibles et ne peuvent faire l'objet d'une amnistie.



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